SYNDICAL (DROIT)

SYNDICAL (DROIT)
SYNDICAL (DROIT)

Le droit syndical, conquis de haute lutte par les travailleurs, est essentiellement ouvrier bien que le syndicalisme se soit étendu à presque tous les milieux professionnels; il est maintenant très généralement reconnu, les régimes autoritaires eux-mêmes n’osant pas l’ignorer et préférant, à l’instar des démocraties libérales, le proclamer, quitte à en faire parfois un moyen d’intégration politique et à en dénaturer le contenu.

Indispensable aux salariés, alors que les autres catégories sociales peuvent plus aisément mener leur action collective par le moyen de l’association ordinaire, il s’est imposé comme une liberté fondamentale, un droit de l’homme, doté de la vertu d’une idée-force.

Depuis sa reconnaissance définitive qui, dans de nombreux pays comme en France (1884), a précédé celle du droit général d’association (1901), il a évolué, à l’image du syndicalisme ouvrier, dont le visage a changé et se transforme sans cesse. D’abord dans ses structures: dans les pays capitalistes, néo-capitalistes ou socialistes, les syndicats, groupements d’élite à l’origine, sont devenus des mouvements de masse, où les problèmes internes ont pris une ampleur nouvelle, la démocratie syndicale y étant la condition de leur représentativité. En outre, la place prise par les techniciens et les cadres dans le mouvement syndical oriente davantage ses préoccupations vers les questions d’ordre technique et économique et vers les problèmes de l’entreprise.

L’évolution s’est faite aussi dans ses fonctions. L’élargissement de la revendication des objectifs sociaux aux objectifs économiques, étroitement imbriqués, la technicité accrue des problèmes, l’importance prise par les conditions de travail et la qualité de la vie, ont conduit le législateur à appeler les syndicats à participer à l’élaboration et à la mise en œuvre de la politique économique et sociale. Ils le font, non seulement par la négociation collective, mais aussi en recherchant une participation aux décisions, là où s’effectuent les grandes options. Un certain rapprochement s’opère ainsi entre les fonctions du syndicalisme de type «occidental» et celles des syndicats des pays socialistes.

Toutefois, le risque d’intégration au système politico-économique demeure la hantise de certains dirigeants syndicaux des pays capitalistes. L’opposition reste fondamentale entre les régimes de liberté syndicale et les systèmes de syndicalisme unique et intégré, d’où les difficultés du mouvement syndical international, encore aggravées par le fait que le syndicalisme est tantôt unifié, tantôt divisé, et qu’il est ici plus pragmatique et là plus idéologique.

Enfin, le problème des moyens concrets de l’action syndicale au niveau de l’entreprise et de la protection des militants syndicaux se pose un peu partout, mais avec une particulière acuité dans les pays capitalistes. Le droit syndical ne peut se réduire à une liberté individuelle ; il est tout autant un droit collectif tourné vers l’action des groupements et de leurs militants.

1. Systèmes de droit syndical

Protection internationale

Le préambule des statuts de l’Organisation internationale du travail (O.I.T., 1919) mentionnait, parmi ses principes essentiels, le droit d’association, aussi bien pour les salariés que pour les employeurs; mais ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que divers textes consacrèrent expressément le droit syndical. La Déclaration universelle des droits de l’homme ne contient qu’une affirmation de principe, de même que la Charte sociale européenne. En revanche, la Convention européenne des droits de l’homme (1950) garantit la liberté de constituer un syndicat et de s’y affilier, sous réserve seulement des mesures nécessaires à la sécurité, à la prévention criminelle et à la protection de la morale et des droits et libertés d’autrui. Mais le texte de base est la convention no 87 de l’O.I.T. (1948), qui pose trois principes: droit de chacun de se syndiquer , c’est-à-dire de constituer des organisations et de s’y affilier; indépendance des syndicats par rapport à l’État, garantie surtout par l’absence d’autorisation préalable des pouvoirs publics et de possibilité de dissolution administrative; enfin, droit des syndicats de se regrouper (unions locales, régionales, nationales et internationales). La convention no 98 sur le droit d’organisation et de négociation collective (1949) garantit plus spécialement l’exercice du droit syndical dans les rapports entre employeurs et salariés en interdisant tous les actes de discrimination patronale en matière d’emploi ainsi que les actes d’ingérence des employeurs dans la vie des syndicats. Une commission d’investigation et de conciliation en matière de liberté syndicale connaît des plaintes adressées au Conseil d’administration du Bureau international du travail (B.I.T.).

Si le droit de ne pas se syndiquer est passé sous silence, c’est en raison de pratiques, tolérées dans certains pays, qui le restreignent (cf. infra , chap. 2). Le partage fondamental entre les régimes divers du droit syndical s’opère entre conception libérale et conception autoritaire, bien que chacune connaisse des variantes appréciables.

Conception libérale

Une constante dans les législations

Les législations qui s’inspirent de la conception libérale du droit syndical rangent celui-ci parmi les droits de l’homme et en lient l’exercice à un acte de volonté libre. Groupement privé, le syndicat est indépendant des pouvoirs publics, qui ne doivent ni en entraver la constitution, ni s’immiscer dans son fonctionnement interne, ni prononcer sa dissolution, laquelle ne peut être que judiciaire; tout au plus quelques formalités peuvent-elles être imposées pour permettre de vérifier la légalité et l’identité du groupement, tel le dépôt des statuts (France) ou un enregistrement, commandant soit la personnalité juridique, soit l’étendue des droits, mais jamais arbitrairement refusé ou accordé (Italie, Grande-Bretagne, Belgique, Allemagne fédérale, Autriche...). Les syndicats ont une fonction de représentation des intérêts professionnels opposés, en vue aussi bien de la contestation des situations acquises que de la participation à l’organisation de la profession et à l’élaboration de la politique économique et sociale, par la consultation, la négociation collective, voire, dans certains domaines, la cogestion.

La constante ne s’arrête pas là. L’acte libre d’adhésion implique la possibilité d’un choix, donc à la fois le caractère facultatif du syndicat et le principe du pluralisme syndical, qui permet de constituer autant de syndicats concurrents qu’il y a de tendances qui s’opposent.

Les variantes selon les pays

La mise en œuvre des deux principes du pluralisme syndical et du syndicat facultatif varie sensiblement, au point qu’on peut opposer le droit français, scrupuleusement respectueux de toutes les implications de la liberté syndicale, aux droits anglo-saxons, beaucoup plus tolérants.

Le pluralisme syndical de droit a pour corollaire l’égalité de traitement juridique des différentes organisations. En revanche, il s’accommode de l’unité syndicale de fait, telle qu’elle se trouve pratiquement réalisée aux États-Unis ou en Grande-Bretagne comme en Scandinavie ou même en Allemagne fédérale. Le principe juridique est sauf dès lors que la liberté est donnée de constituer autant de syndicats concurrents qu’on le veut, même s’il n’existe en fait qu’une organisation, par l’effet combiné d’une discipline du mouvement syndical et d’une orientation plus pragmatique qu’idéologique (à la différence des syndicalismes français ou italien, par exemple).

Mais la situation syndicale de fait ne peut pas ne pas influencer l’application concrète du principe. Ainsi, aux États-Unis, la loi Wagner de 1935, votée dans le cadre du New Deal, en instituant la représentation officielle des salariés par les syndicats dans les négociations collectives, et en faisant de ceux-ci les interlocuteurs obligés des employeurs, a reconnu au syndicat déclaré majoritaire dans l’unité de négociation, soit à l’amiable soit à la suite d’un vote, l’exclusivité de la représentation de tous les salariés, sous réserve de défendre leurs droits sans opérer de discrimination. Parce que très souvent unique, le syndicat majoritaire se trouve ainsi avoir une certaine autorité sur l’ensemble des salariés, même sur les non-syndiqués ou les adhérents des syndicats minoritaires. Cette rupture de l’égalité est sans commune mesure avec la distinction que le droit français a dû établir entre les syndicats «les plus représentatifs» et les autres, la représentativité étant elle-même «pluraliste» et reconnue à toutes les organisations remplissant certaines conditions (cf. chap. 3, infra ).

De même, la protection pratique du caractère facultatif du syndicat et de la liberté de choix qu’il implique n’est pas entendue partout de la même manière. En Grande-Bretagne et aux États-Unis, les clauses dites de «sécurité syndicale» sont, pour la plupart, licites dans les accords collectifs conclus avec les employeurs, bien qu’elles incitent (ou même, en fait, contraignent) à l’adhésion au syndicat signataire. En France, surtout depuis la loi du 27 avril 1956, comme en Italie (depuis la loi du 20 mai 1970), toute forme de faveur ou de pression, même par la voie du contrat de label syndical, est interdite. Toutefois, l’écart entre ces deux conceptions serait réduit si la pratique des avantages réservés aux syndiqués par accord entre employeurs et syndicats, maintenant juridiquement reconnue dans certains pays du Marché commun (Belgique), venait à s’étendre.

Conception autoritaire

Si dans les pays où prévaut une conception autoritaire, le syndicat est unique et intégré au système politique, et si son indépendance à l’égard de l’État y disparaît toujours, il y est tantôt obligatoire, tantôt facultatif.

Dans les régimes d’esprit corporatif, le « syndicalisme d’État», instrument entre les mains des pouvoirs publics, exclut totalement la liberté syndicale et constitue un moyen d’organisation de la vie économique par l’autorité publique, comme il le fut dans l’Italie fasciste, et en France sous le régime de la Charte du travail (1942); il l’est en Espagne, où les syndicats, même depuis la loi du 17 février 1971, regroupent, dans une organisation unique et obligatoire de droit public contrôlée par le gouvernement, les employeurs et salariés de chacun des groupes de production; il en est de même au Portugal où, bien que facultatif, le syndicat est unique et tenu de collaborer avec les pouvoirs publics. Le droit syndical change alors de sens et repose sur la négation des conflits d’intérêts.

Quant aux démocraties marxistes, le syndicat n’y est pas un groupement revendicatif mais un relais entre le parti et les travailleurs, une «école de communisme». Si, depuis la déstalinisation, les syndicats ont été invités à défendre plus énergiquement les intérêts immédiats des travailleurs, ils demeurent, selon la formule célèbre, une «courroie de transmission»; et si celle-ci est appelée à tourner désormais dans les deux sens, si le syndicat n’est plus seulement un organisme d’encadrement, il est moins un moyen de revendication que de doléance. En revanche, le syndicat n’est pas obligatoire, même si le bénéfice de certains avantages sociaux importants est attaché à la qualité de syndiqué.

En Union soviétique, en particulier, les syndicats «rallient les ouvriers et les employés autour du parti» (préambule des statuts). Unique pour chaque branche industrielle et enregistré dans une organisation intersyndicale, le syndicat est régi par le centralisme démocratique, en vertu duquel toute organisation syndicale est subordonnée à l’organisation supérieure, les dirigeants des diverses instances et leurs représentants aux instances supérieures étant élus par les syndiqués eux-mêmes. Considérables, leurs attributions sont à la fois politiques (application des directives du parti, formation des cadres syndicaux, émulation socialiste), administratives (inspection du travail, gestion des assurances sociales), et économiques (ils participent non seulement à l’exécution du Plan et à son adaptation aux entreprises, mais, depuis la réforme économique, à sa discussion et au choix des grandes options qui en sont la base). Dans les entreprises, les comités syndicaux concourent à l’élaboration des plans de production, au perfectionnement technique, animent les «assemblées de production» des travailleurs, où se pratique l’autocritique, reçoivent le compte rendu d’activité des dirigeants. Sur le plan social, ils fixent avec la direction les conditions de travail, concluent les conventions collectives avec elle, donnent leur accord au licenciement de tout travailleur, enfin ils sont consultés avant la nomination d’un dirigeant d’entreprise et peuvent demander son changement. En Yougoslavie, le régime de l’autogestion confère au syndicat un rôle de contrôle ouvrier collectif sur les organes d’autogestion en même temps que d’éducation des travailleurs.

2. Liberté d’adhésion et protection des travailleurs

Au niveau des relations de travail entre employeurs et salariés, la liberté de l’appartenance et de l’activité syndicales constitue la pierre angulaire de l’exercice concret du droit syndical. Celui-ci risque en effet de rester théorique si le travailleur, placé en situation de subordination juridique, ne bénéficie pas d’un minimum de garanties contre les discriminations de l’employeur à l’égard des syndiqués; de même, la liberté de ne pas se syndiquer exige une protection contre les pressions syndicales ou patronales.

Le droit de se syndiquer

Paradoxalement, le droit positif d’adhérer à un syndicat est moins bien protégé en droit français que celui de ne pas adhérer. La raison en est que le droit syndical se trouve affronté à la fois à la liberté contractuelle de l’employeur et à son pouvoir de chef d’entreprise. Aussi, la loi a-t-elle beau interdire formellement, depuis 1956 en France et 1970 en Italie, à l’employeur de prendre en considération l’appartenance ou l’activité syndicale pour toute mesure concernant un salarié, les pratiques discriminatoires à l’embauche et en cours d’emploi sont difficiles à sanctionner; ainsi, par exemple, des «listes noires» de syndicalistes circulent d’une entreprise ou d’une ville à l’autre. Le motif syndical du refus d’embauchage est très difficile à prouver pour le candidat éconduit. La clause d’un contrat de travail interdisant l’affiliation syndicale est sans valeur juridique, de même que sont interdites, en vertu d’une jurisprudence récente, les questions posées à l’embauche sur l’affiliation syndicale. Mais les mesures discriminatoires en cours d’emploi, tels le refus d’avancement, la mutation, la rétrogradation, etc., sont aisées à justifier par les besoins du service. Quant au licenciement, il sera, dans les rares cas où sa motivation syndicale peut être établie, déclaré simplement abusif et le syndiqué exclu devra se contenter d’une indemnité, sous réserve toutefois des possibilités de réintégration prévues par la loi italienne du 20 mai 1970. Les difficultés de preuve et l’insuffisance des sanctions civiles et pénales (amende) enlèvent une grande part de son efficacité à la protection théorique du droit de se syndiquer. La menace pèse davantage encore sur les militants et délégués syndicaux, pour lesquels une protection spéciale est nécessaire (cf. Dans le cadre de l’entreprise , in chap. 3). En définitive, c’est surtout de la force des syndicats dans l’entreprise que dépend le respect du droit syndical.

Le droit de ne pas se syndiquer

L’aspect négatif de la liberté syndicale, corollaire du caractère facultatif du syndicat, exige une double protection contre l’employeur tenté de favoriser un groupement docile ou même d’en créer un, mais aussi contre les pratiques syndicales destinées à contraindre à l’adhésion.

L’ingérence de l’employeur dans la vie d’un syndicat et la pratique du « syndicat-maison » (company union ), sont très généralement sanctionnées; aux États-Unis, par exemple, elles constituent une pratique de travail déloyale (unfair labor practice ); en France, la loi Moisan-Lefèvre de 1956 a interdit tout moyen de pression de l’employeur en faveur d’une organisation syndicale quelconque, et en 1963 un employeur a été condamné pour avoir suscité un syndicat uniquement pour conclure avec lui un accord d’intéressement du personnel entraînant des exonérations fiscales. La loi italienne du 20 mai 1970 contient la même interdiction (art. 17).

En sens inverse, la mise à l’index pratiquée par un syndicat est illicite lorsqu’elle est destinée à forcer les salariés d’une entreprise à adhérer, par exemple en menaçant de grève l’employeur qui embauche ou conserve des non-adhérents.

Mais la menace peut être bilatérale et résulter d’un accord conclu entre un syndicat et un ou plusieurs employeurs. La pratique des clauses dites de «sécurité syndicale» est très répandue aux États-Unis et en Grande-Bretagne, où elles sont licites. Aux États-Unis, cependant, la loi Taft de 1947 apporte de sérieuses restrictions à la loi Wagner, notamment en proscrivant la clause de closed shop (atelier fermé), qui engage l’employeur à n’embaucher que des adhérents du syndicat. La restriction apportée au droit de ne pas se syndiquer est très variable selon la clause considérée, qui va de l’engagement de l’employeur de licencier tout salarié qui n’adhère pas dans un certain délai (union shop ) à celui d’embaucher de préférence des travailleurs proposés par le syndicat, de licencier les syndiqués qui viendraient à quitter le syndicat, de préveler les cotisations sur le salaire (check-off ), ou enfin de réserver les avantages consentis dans l’accord collectif aux adhérents du syndicat signataire (avantages réservés).

Ces pratiques offrent l’intérêt d’assurer le recrutement des adhérents et la stabilité des effectifs syndicaux, et du même coup, elles donnent aux syndicats l’autorité indispensable à la défense efficace des intérêts des travailleurs. En outre, elles répondent à un souci de justice, en faisant supporter les sacrifices de l’action syndicale à tous ceux qui en bénéficient. Elles restreignent néanmoins plusieurs libertés (pour le travailleur celle de rester en dehors des syndicats, pour l’employeur celle de recruter librement son personnel) et sont absolument interdites en France depuis la loi du 27 avril 1956. Cette disposition de circonstance (contrat de label du Livre) ne favorise pas la syndicalisation et contribue à maintenir le caractère minoritaire du syndicalisme ouvrier français. La loi italienne de 1970 permet les accords de retenue des cotisations syndicales sur les salaires, sous la condition du secret; elle interdit les autres clauses.

Toutefois, la clause d’avantages réservés aux syndiqués, qui incite à adhérer sans trop contraindre, se répand actuellement dans certains pays du Marché commun, en particulier en Belgique où sa licéité n’est plus discutée.

3. L’action syndicale

Il ne sert à rien de proclamer le droit syndical sans reconnaître au syndicat les moyens de son action. Cette évidence n’a pourtant pas empêché certains législateurs de se contenter longtemps de garantir la liberté de constituer un syndicat et d’y adhérer, tout en se gardant d’en protéger l’activité, en particulier au niveau de l’entreprise. D’où le paradoxe dans certains pays (France, Italie): «partenaires constants» aux divers niveaux de la vie économique et sociale, les syndicats restaient, en droit, ignorés au niveau de l’entreprise, cadre élémentaire de l’activité, là où s’exerce l’autorité patronale. Les secousses politiques récentes, surtout celle de 1968, ont conduit à un certain rattrapage du retard en ce domaine; mais le problème des rapports entre l’action syndicale et l’action politique et celui de la représentativité requise pour l’exercice de certains moyens d’action demeurent posés.

Son objet: l’action politique

Si la défense des intérêts professionnels est la caractéristique du syndicat, constitue-t-elle l’objet exclusif de l’action syndicale?

Le débat est clos pour l’action sociale (emploi, logement, retraites, etc.), traditionnellement exercée avec bonheur par les syndicats ouvriers, et même devenue un des objectifs actuels essentiels de la négociation collective avec le partenaire patronal ou étatique, consacré par la récente loi française du 13 juillet 1971. En revanche, il ne l’est pas pour l’action politique, qu’il demeure classique pour certains d’opposer à l’action professionnelle. Mais, en réalité, ce débat semble à la fois vain et faux. Vain parce que les faits sont là et que partout les syndicats, non seulement ouvriers mais aussi patronaux, ont à maintes reprises participé à l’action politique (Front populaire en 1936, décolonisation, apartheid, création du Parti travailliste britannique par les Trade Unions, campagnes électorales américaines, etc.), au point que le reproche de politisation souvent adressé à certains syndicats français est quelque peu déplacé. Mais aussi le débat sonne faux tant est artificielle la distinction entre le professionnel et le politique, dont l’imbrication est encore plus évidente depuis l’intervention incessante de l’État dans le domaine économique et social. La politique générale, intérieure ou extérieure, a des conséquences sur les salaires, sur le travail, sur l’activité économique, donc sur le niveau de vie des travailleurs. Le développement des revendications «qualitatives», même si certaines demeurent orientées vers le travail lui-même (cadence, durée, parcellisation, etc.), interdit aux syndicats l’égoïsme professionnel et leur fait un devoir de se préoccuper de questions d’intérêt général (transports, nuisances, etc.), donc politiques au sens propre du terme. Comme l’avait souligné Georges Ripert, il serait paradoxal de déclarer illégitime l’action «qui est dictée par un sentiment désintéressé, et de juger conforme au droit celle qui se propose le but intéressé d’une augmentation de salaire».

Mieux vaudrait donc écarter toute limitation de ce genre, comme c’est le cas en Italie, aux Pays-Bas, en Suède, en Suisse, en Allemagne fédérale, et même en Grande-Bretagne et aux États-Unis, où les ressources utilisées à des fins politiques doivent seulement être prises sur un fonds affecté.

Conditions de représentativité

La représentativité est d’abord une question de fait: l’efficacité même de l’action syndicale est commandée par la représentativité effective de l’organisation qui la mène, en particulier par le nombre de ses adhérents. Aussi, a priori, le droit n’a-t-il pas besoin de s’en préoccuper, les faits se chargeant de la sanctionner, donc de l’exiger.

Toutefois, à partir du moment où les syndicats n’ont plus seulement pour rôle de contester ou de revendiquer, mais aussi de participer à l’organisation de la vie professionnelle, économique et sociale, il devient impossible de leur reconnaître sans conditions à tous les prérogatives par lesquelles cette action s’exerce. Aussi, la notion de syndicats «représentatifs» devait-elle faire fortune sous des formes diverses depuis son apparition dans les statuts de l’Organisation internationale du travail (1919).

Résolu d’emblée dans les pays de syndicat unique, le problème se pose dans les pays de pluralisme syndical, la discrimination attachée à la «représentativité» juridique constituant en soi une atteinte à l’égalité de régime entre les syndicats, corollaire du pluralisme. Mais, contrairement aux appréhensions de certains, le syndicalisme organisé et responsable s’en est trouvé renforcé.

Cette notion de représentativité varie sensiblement d’un pays à l’autre. En Italie ou en Belgique, comme en France, la représentativité est elle-même «pluraliste» en ce sens qu’elle peut être reconnue concurremment à plusieurs organisations, dès lors qu’elles remplissent certaines conditions. En revanche, aux États-Unis, la représentativité est réservée à l’organisation majoritaire dans l’unité de négociation (cf. Les variantes selon les pays , in chap. 1).

Le cas de la France est particulièrement révélateur des difficultés soulevées par l’exigence de représentativité, dans une situation de pluralité syndicale ouvrière de fait pour l’exercice de prérogatives nombreuses et importantes (conclusion des conventions collectives, présentation des candidats représentants du personnel au premier tour des élections dans les entreprises, conclusion des accords de participation, bénéfice de la loi de 1968 sur la section syndicale d’entreprise et les délégués syndicaux, préavis de grève dans les services publics, participation à de multiples organismes politiques ou administratifs, en général consultatifs, etc.). Les critères de la représentativité généralement retenus sont, à titre principal, les effectifs , difficiles souvent à connaître avec exactitude et, à titre complémentaire, le versement des cotisations , la liberté des adhésions , l’indépendance à l’égard des employeurs, enfin l’activité et l’ancienneté du syndicat, éléments constituant des conditions d’aptitude à la représentativité, sans lesquels les effectifs ne signifient rien. En outre, la pratique récente a fait apparaître un nouveau critère, celui de l’audience ou de l’influence du syndicat, que les tests périodiques que sont les élections professionnelles (comité d’entreprise, délégués du personnel) permettent de mesurer avec précision et exactitude dans l’entreprise.

Au niveau national, des décisions gouvernementales ont reconnu la représentativité aux grandes confédérations: Confédération générale du travail (C.G.T.); Force ouvrière (F.O.); Confédération française démocratique du travail (C.F.D.T.); Confédération française des travailleurs chrétiens (C.F.T.C.); Confédération générale des cadres (C.G.C.), sous le contrôle du juge administratif, qui a par exemple confirmé la représentativité de la C.F.T.C. «continuée», malgré la relative faiblesse de ses effectifs, au nom d’une conception «qualitative» de la représentativité, cette centrale représentant un courant historique important du syndicalisme ouvrier français. Mais c’est davantage dans le cadre de l’entreprise que la représentativité soulève actuellement les plus sérieuses difficultés, surtout depuis l’apparition, à la suite des événements de mai 1968, de nombreux syndicats «autonomes», dont l’ancienneté est réduite, l’activité faible, le recrutement souvent passager, l’indépendance parfois douteuse.

Le champ d’action

Profession et interprofession

Le regroupement des syndicats ouvriers et patronaux en confédérations a permis à l’action syndicale, ancienne déjà dans le cadre des professions, de s’étendre à l’interprofession, et cela d’autant plus que la représentation des intérêts ouvriers et patronaux auprès des pouvoirs publics s’effectue de plus en plus souvent, au niveau national, dans des organismes à compétence générale. Le développement de la négociation collective interprofessionnelle, spectaculaire en France depuis 1958 et surtout depuis 1968, en matière de retraites, d’emploi, de formation professionnelle et de mensualisation, ne fait qu’accentuer le mouvement.

La contestation ou la revendication prend souvent la forme de l’action directe: réunions et manifestations, pétitions, interventions des dirigeants syndicaux auprès des employeurs et des pouvoirs publics, enfin et surtout grève. La mise à l’index ou boycott est moins utilisée maintenant, bien qu’elle soit devenue licite, seuls ses abus étant sanctionnés.

Quant aux moyens de l’action de participation, ils consistent principalement dans la réglementation conventionnelle des relations de travail par la voie des accords collectifs de secteur professionnel, de branche, ou même interprofessionnels, soumis à un régime juridique particulier qui permet de leur faire produire des effets considérables. En outre, les syndicats sont représentés dans des organismes officiels, consultatifs ou parfois gestionnaires, à vocation administrative ou même politique (par exemple, Conseil économique et social en France). Enfin, ils exercent un certain rôle de discipline de la profession par le procédé du label syndical, ou bien en saisissant les tribunaux des violations de la déontologie professionnelle ou des violations de la législation sociale commises par des producteurs ou des employeurs et portant préjudice à l’intérêt de la collectivité professionnelle.

Dans le cadre de l’entreprise

C’est évidemment sur les lieux de travail que commence l’action syndicale; mais elle y affronte l’autorité patronale, ce qui explique qu’il ait fallu attendre, dans bien des pays, une époque récente pour que soit reconnue la présence du syndicat dans l’entreprise.

L’exercice effectif du droit syndical dans l’entreprise y postule l’admission de l’activité syndicale elle-même. Tel est l’impératif de principe, si l’entreprise n’est plus seulement un lieu d’échange de la force de travail contre un salaire, mais une cellule – voire une communauté – de travail dont le personnel fait partie intégrante. Tel est aussi l’impératif pratique: les lieux de travail sont ceux où se posent le plus immédiatement les problèmes professionnels et où s’en effectue la prise de conscience; les seuls aussi où il soit possible de tenir les réunions syndicales, étant donné la dispersion accrue de l’habitat des salariés et l’allongement du temps de transport.

Les exigences concrètes concernent en premier lieu les moyens mêmes de l’activité syndicale, c’est-à-dire une protection spéciale des délégués syndicaux, plus exposés que les simples adhérents, des possibilités de formation et d’information des militants et responsables, enfin des moyens d’action indispensables pour eux (crédit d’heures de fonction rémunérées comme temps de travail, droit de circuler dans l’entreprise et de s’en absenter, disposition d’un local pour les réunions syndicales, diffusion des informations syndicales et collecte des cotisations). Mais au-delà, elles vont jusqu’à la reconnaissance de la vocation des syndicats à représenter le personnel auprès de la direction. Or, c’est là que se manifestent à la fois les plus grandes résistances patronales et la divergence des systèmes positifs.

En effet, deux formules de représentation du personnel dans l’entreprise sont possibles. Ou bien la représentation est assurée directement par les syndicats, comme aux ÉtatsUnis (syndicat majoritaire), en Grande-Bretagne (shop stewards ) ou dans les démocraties d’inspiration marxiste; ou bien, comme en Belgique, en Italie ou en France, les institutions représentatives, tout en faisant une place importante aux organisations syndicales dans leur désignation et leur fonctionnement, en sont distinctes par leurs structures et leurs attributions. Dans le premier système, on peut dire que le problème de l’exercice du droit syndical dans l’entreprise se trouve d’emblée résolu, l’activité syndicale s’y confondant avec la représentation institutionnalisée du personnel. Au contraire, dans le second, il reste entier: même si, comme en France et en Belgique, les syndicats représentatifs jouent un rôle déterminant dans l’élection et le fonctionnement des comités d’entreprise et des délégués du personnel, leur activité propre peut rester juridiquement en marge, clandestine en quelque sorte dans l’entreprise.

Or telle a été la situation en France et en Italie, sous réserve de quelques accords d’entreprise précurseurs, du fait de la résistance patronale fondée sur le souci de sauvegarder l’autorité du chef d’entreprise et de neutraliser les lieux du travail en en excluant toute action syndicale. Il a fallu, en France, la grande secousse de mai 1968 pour que, le constat de Grenelle n’ayant pu aboutir à un accord sur ce point, le gouvernement fasse cependant adopter la loi du 27 décembre 1968 reconnaissant la section syndicale d’entreprise; elle accorde au syndicat des moyens d’action non négligeables (panneaux d’affichage, distribution de tracts, local, réunion mensuelle), et confère enfin un statut aux délégués syndicaux (protection spéciale contre le licenciement, crédit d’heures, etc.). Le domaine d’application de cette loi, dont le bénéfice est à juste titre réservé aux syndicats représentatifs, est toutefois limité aux entreprises de cinquante salariés au moins, et, de plus, la plupart des prérogatives des sections syndicales sont exclues des temps et des lieux de travail. De même, l’efficacité de la protection des délégués syndicaux demeure incertaine. Néanmoins, le texte constitue probablement la plus importante conquête syndicale depuis 1884. En Italie, la loi du 20 mai 1970 contient, dans le même esprit, des dispositions analogues; mais elle va plus loin en reconnaissant au juge le pouvoir d’enjoindre à l’employeur de réintégrer, sous peine de sanctions pénales et civiles, le délégué syndical irrégulièrement licencié, en soumettant la mutation de ce dernier à l’accord de son syndicat, enfin en autorisant des réunions syndicales dans l’entreprise pendant le temps de travail. Ces deux lois récentes sont un signe de l’importance prise par le cadre de l’entreprise dans les relations professionnelles.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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